L’Assemblée nationale a voté dans la nuit de lundi à mardi une proposition de loi LREM prévoyant des « mesures de sûreté » pour les condamnés pour terrorisme, à l’issue de leur peine. L’autorité judiciaire pourra imposer durant cinq ou dix ans à ces personnes l’obligation de répondre aux convocations du juge d’application des peines, d’établir sa résidence en un lieu déterminé, des interdictions d’entrer en relation et de paraître dans certains lieux, et encore l’obligation de pointage ainsi que, sous réserve de l’accord de la personne, le port du bracelet électronique. Veuillez trouver ci-dessous mon intervention dans la discussion générale pour le groupe Socialistes et apparentés.

Nous sommes réunis pour débattre d’une proposition de loi déposée par la présidente de la commission des lois et visant à instaurer des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes, à l’issue de leur peine.

Nous vivons, depuis les attentats de janvier et de novembre 2015, avec une forme de peur et d’angoisse, en ayant à l’esprit ce monstre barbare qu’est le terrorisme, qui engendre tant de ravages. Malgré une série de lois et de textes pour combattre le phénomène, nous savons que la menace reste omniprésente. Le groupe Socialistes et apparentés comprend la peur de nos concitoyens. La sortie prochaine de personnes condamnées pour infraction terroriste nous incite à prendre des mesures appropriées et efficaces.

La proposition de loi aborde donc un sujet éminemment grave. Toutefois, elle intervient dans un domaine où de multiples mesures sont déjà prévues, et confiées à des autorités différentes, d’où une impression de redondance et de fouillis.

Dans son avis, le Conseil d’État nous alerte : les dispositifs de lutte contre le terrorisme et sa récidive sont complexes, nombreux et issus de différentes sources. Il estime que l’efficacité de l’action publique est menacée et préconise une évaluation des dispositifs préventifs applicables au terrorisme, afin « d’améliorer la cohérence de l’ensemble des dispositifs, leur bonne articulation les uns aux autres et, par conséquent, leur efficacité, tout en facilitant les évolutions nécessaires et en consolidant l’équilibre entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le respect des droits et libertés reconnus par la Constitution ». Ceci à retrouver dans les dix-sept pages avec de nombreux allers-retours que compte l’avis…

Rappelons qu’à la suite des attentats commis en janvier 2015, le législateur avait créé, par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, un fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes. Ce fichier visait à assujettir ces personnes à des mesures de sûreté qui les obligent à se présenter régulièrement dans les commissariats de police ou les gendarmeries pour que les forces de l’ordre puissent les localiser, suivre l’évolution de leurs activités et s’assurer qu’ils ne présentent pas un risque de récidive trop évident.

La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, a rendu applicable le dispositif de suivi socio-judiciaire aux personnes condamnées pour infraction terroriste. Il s’agit toutefois d’une peine complémentaire, qui ne peut s’appliquer qu’à des personnes condamnées après juin 2016. Or la plupart des détenus appelés à sortir prochainement n’entrent pas dans cette catégorie. Par ailleurs il fallait des mesures de sûreté pour régler dans l’urgence la question du suivi de ces détenus car les MICAS issues de la loi du 30 octobre 2017 arriveront à échéance à la fin de 2020.

Bref, il y a une difficulté à résoudre. Mais, dans une société démocratique, il convient de traiter tous les sujets, quelle que soit leur nature, en respectant les principes fondamentaux. Or il nous semble que l’instauration d’une peine après la peine va à l’encontre du principe fondamental de non-rétroactivité. J’entends bien la distinction entre peine et mesure de sûreté, mais la rédaction actuelle de certaines mesures montre que cette distinction est assez floue, les dispositions pouvant être considérées comme l’une ou l’autre.

Madame la rapporteure, vos mesures sont transitoires et ne s’appliqueront que jusqu’à ce que le dispositif pénal de suivi socio-judiciaire trouve toute sa place. C’est pourquoi nous profitons de ce véhicule législatif pour proposer des amendements tendant au renforcement du suivi socio-judiciaire, notamment en le rendant presque systématique.

Ce dispositif, qui satisfait aux exigences constitutionnelles de non-rétroactivité du droit pénal, doit voir sa place renforcée. Nous demandons également que le Gouvernement remette au Parlement un rapport d’étape comportant le nombre de mesures de sûreté prononcées, les modalités retenues, leur efficacité et leur coût. Ce bilan nous permettra d’apprécier la pertinence des dispositifs avant de les compléter.

Les modifications apportées au texte par la commission des lois, comme la suppression du placement sous surveillance électronique mobile, nous ont surpris par rapport à la logique que vous défendez.

Ce texte reste néanmoins dangereux pour les principes fondamentaux du droit, notamment ceux de légalité, de non-rétroactivité de la loi pénale et de non-cumul des poursuites et des peines. Nous avons déposé des amendements visant à l’améliorer mais, restant sceptiques sur le sort qui leur sera réservé, nous choisirons certainement, vous l’aurez compris, de nous abstenir sur ce texte.

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