Le jeudi 20 juin 2019, nous avons débattu d’une proposition de loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité intérieure du groupe Les Républicains. Veuillez trouver ci-dessous la vidéo et le texte de mon intervention pour le groupe Socialistes et apparentés.

Vidéo

Nous abordons avec cette proposition de loi un sujet indiscutablement important puisque, nous le savons, les forces de l’ordre ont été particulièrement sollicitées, notamment au cours des dernières années – par le terrorisme, et, plus récemment, par les crises sociales comme celle des gilets jaunes. Elles font preuve depuis des mois de beaucoup d’abnégation et d’un engagement sans faille dans les missions qu’elles assument, dans des conditions particulièrement éprouvantes. Le drame des suicides a été évoqué. Il est réel et en dit long sur le parcours de souffrance de certains de nos policiers. Dans ce contexte de terrorisme, les forces de l’ordre ont été très mobilisées, ce qui rend leur quotidien et celui de leurs familles très difficile.

Les objectifs de la proposition de loi sont clairement affichés : vous proposez de renforcer les moyens budgétaires dédiés aux forces de l’ordre ainsi que les outils juridiques destinés à les protéger, et d’augmenter les prérogatives des policiers municipaux. Nous sommes évidemment favorables à la poursuite des efforts budgétaires engagés notamment par Bernard Cazeneuve afin de sortir de la crise des institutions, et que le gouvernement actuel essaie de poursuivre. Mais, sans vouloir polémiquer, il paraît difficile d’oublier le nombre important de postes de policiers supprimés avant 2012. Ces suppressions ont contraint à un exercice délicat pour remettre sur le terrain des gendarmes et des policiers, d’autant que la situation, du fait du terrorisme, s’était complexifiée. Faute de moyens humains et matériels, les policiers et les gendarmes se sentent souvent dans l’impossibilité de répondre correctement à toutes les sollicitations de nos concitoyens. Et la suppression de la police de proximité n’arrange rien ! Nous le savons, les habitants de nos quartiers populaires sont les premières victimes de ce sentiment d’insécurité. Il faut donc donner aux forces de l’ordre les moyens d’assurer leurs missions. La vétusté des locaux dont vous avez parlé est, là encore, un problème réel. Malgré les efforts réalisés pour rattraper les retards considérables existants, les besoins pour améliorer les conditions matérielles dans lesquelles les policiers travaillent sont importants.

La proposition de loi avance de nombreux chiffres en vue d’un renforcement budgétaire. Il s’agit par exemple de ventiler des crédits supplémentaires pour la gendarmerie et la police nationale, ou de lancer un plan global d’investissement immobilier. Ce qui est gênant, c’est qu’une proposition de loi n’est pas le bon endroit pour cela : ces demandes de crédits, même si elles sont justifiées, auraient sans doute davantage leur place dans les discussions que nous avons chaque année sur le projet de loi de finances.

Vous abordez aussi une question très sérieuse, celle du paiement des heures supplémentaires accumulées depuis 2014. Là encore, vous touchez à un problème réel. Certains policiers comptabilisent tant d’heures supplémentaires non payées qu’ils partent à la retraite deux à trois ans plus tôt. Mais on a du mal à comprendre la solution que vous proposez pour obliger l’État à les payer : vous proclamez un engagement, mais comment y arrivera-t-on dans les faits ? Sur d’autres sujets, je suis un peu plus sceptique. Vous envisagez par exemple de réintroduire les peines planchers. C’est un débat, monsieur Ciotti, que nous avons déjà eu depuis 2007 et vous ne vous étonnerez pas de constater que je ne suis pas davantage convaincue par les peines planchers aujourd’hui que je ne l’étais à cette date.

Nous avons vu ces mesures à l’œuvre, puisque la loi a prévu une certaine automaticité de la peine. Cette disposition a été contestée au motif que l’individuation de la peine est un principe fondamental des droits français et européen. Il a été constaté que ces peines planchers pouvaient permettre aux prévenus d’encourir les mêmes peines, qu’ils braquent une bijouterie ou fracturent un distributeur de boissons. De même, un jeune de 20 ans ayant acheté deux grammes de cannabis pouvait encourir quatre années de prison, alors même qu’on entend dire aujourd’hui à la radio que certains voudraient légaliser la distribution du cannabis – pour ma part, je suis très sceptique envers cette évolution.

En 2014, les peines planchers ont été supprimées au motif qu’elles n’étaient pas dissuasives et ne permettaient pas de lutter efficacement contre la récidive. Je vous reconnais le mérite de la ténacité, puisque vous proposez d’y revenir mais je demeure perplexe quant à leur intérêt, à un moment où nous essayons plutôt d’aménager les peines pour éviter d’accroître la surpopulation carcérale.

S’agissant de la fin de l’excuse de minorité, c’est là encore un vieux débat. Je sais que vous pensez que des jeunes de 16 ans grands et baraqués devraient pouvoir être condamnés comme des majeurs. Là encore, un principe fondamental de notre droit s’y oppose : celui d’envisager le mineur comme un être en devenir. Par conséquent, on doit garder l’espoir qu’il sera sensible à des mesures d’éducation. C’est la raison pour laquelle notre justice des mineurs, si souvent décriée, permet tout de même à la grande majorité des jeunes qui passent devant le juge de retrouver le chemin du respect de la loi. Nous ne voyons donc pas en quoi le fait de les juger comme des majeurs sera plus efficace et leur permettra de mieux comprendre la règle et de l’appliquer. Avec les nombreuses dérogations que vous proposez, l’excuse de minorité sera vidée de son sens. Parmi les engagements internationaux que nous avons pris, la Convention internationale des droits de l’enfant nous engage à ne pas traiter les enfants âgés de 16 à 18 ans différemment de ceux de moins de 16 ans. Je vous renvoie à ce titre au très bel exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante : « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. ». Je ne suis donc pas persuadée que la proposition de loi offre une solution adéquate au problème réel de la délinquance des mineurs.

Vous prévoyez aussi un durcissement des peines en cas d’injures publiques à l’endroit des forces de l’ordre – celles-ci passeraient de 12 000 euros à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Il est vrai que les incivilités et les comportements méprisants ou agressifs à l’égard des forces de l’ordre voire des pompiers sont inadmissibles. Il faut cependant voir si ce que vous proposez est de nature à régler le problème.

S’agissant des polices municipales, il faut certes parvenir à leur donner des prérogatives plus importantes, car, étant très présentes sur le terrain, elles sont parfois en danger. Vous proposez d’habiliter les agents de police municipale à réaliser des contrôles d’identité. Certaines procédures sont toutefois réservées à des fonctionnaires nationaux, qui sont formés et les appliquent alors avec davantage de sécurité. Je reconnais que les contrôles d’identité demeurent une plaie dans les relations entre la police et les habitants de certains quartiers, notamment les plus jeunes. Sans doute devons-nous approfondir la réflexion sur ce point. Manuel Valls avait généralisé les caméras permettant de vérifier que le contrôle s’effectue dans de bonnes conditions. Un bilan de cette procédure est souhaitable. Bref, nous devons travailler sur ce sujet, mais votre proposition me semble un peu rapide.

Cette proposition de loi ne me surprend pas, car elle traite des sujets de préoccupation de M. Ciotti, qui sont sérieux et fondamentaux. En l’état actuel, je suis toutefois perplexe quant aux solutions proposées. C’est la raison pour laquelle, sans préjuger toutefois de la discussion, notre groupe s’abstiendra très certainement.