Beau temps sur Cluny aujourd‘hui , face à la monumentale abbaye, pour cette balade mémorielle consacrée à une femme d’exception, l’enfant du pays Anne Marie Javouhey. Un colloque réunissait en mairie de Cluny des spécialistes de son histoire.

On ne trouve pas à Cluny sa maison familiale mais le couvent des Récollets ou elle s’est installée avec la Congrégation qu’elle a créée, d’abord pour soigner les marginaux et instruire les enfants ce qui lui vaut très vite une réputation certaine.

Du coup, elle entre en conflit avec l’évêque d’Autun qui veut s’approprier son travail et exercer sa tutelle sur la Congrégation.  Elle n’est donc pas hostile à un nouvel engagement et accueille favorablement les propositions qui lui sont faites , d’abord en  1828,  pour ouvrir des écoles à la Réunion, alors Ile Bourbon, puis  au Sénégal, et enfin en Guyane dans la vallée de la Mana, où une expérience était tentée pour développer les cultures sans recourir aux excès de l’esclavage.

A cette époque   la traite avait été interdite en Europe depuis 1815. Le débat mené entre philanthropes et colonistes faisait rage pour savoir s’il était possible pour les noirs de passer sans transition de l’état d’esclaves à celui de travailleurs libres. Les abolitionnistes anglais étaient partisans d’une période de transition. Lamartine, avec toute l’autorité que lui conféraient ses années comme député de Macon , et président du Conseil général de Saône et Loire , s’est engagé résolument aux côtés des philanthropes pour réclamer l’abolition immédiate de l’esclavage, quitte à accepter une phase d’apprentissage de la vie de travailleur libre.

Suite à l’interdiction de la traite, quand les bateaux négriers étaient arraisonnés , les africains qui s’y trouvaient étaient  places sous la protection du roi, et il fallait les prendre en charge  autrement  . Par ailleurs une loi de 1831 avait posé le principe de la liberté des esclaves, provenant de ces saisies sur les bateaux mais ils devaient attendre une période de sept ans avant leur affranchissement effectif.

Il était aussi nécessaire  de s’occuper de noirs qui avaient marronné  ,qui étaient malades ou estropiés et de mener une  expérimentation pour leur permettre de faire l’apprentissage de la liberté . Les ayant rachetés à leurs maîtres, Anne Marie Javouhey , se chargeait de les soigner et de les aider a se reconstituer physiquement comme moralement.

Après  1828, elle prend donc en charge l’organisation de la vie communautaire à Mana : défrichement, construction de maisons, mise en culture.

Malgré les difficultés, notamment à cause de la révolution de 1830 et le départ de nombreux colons, elle parvient à démontrer que ses protégés peuvent accéder à l’instruction ,à la vie spirituelle,  cultiver leur lopin de terre et vivre en autonomie. Elle se heurte cependant à de vives critiques locales tant de la hiérarchie de l’église que des colons.

En 1838, un groupe de 150 habitants de Mana   reçoivent un titre d’affranchissement, un terrain, une maison, et symboliquement une paire de chaussures. Il se dit que l’ancêtre du sénateur Patient en faisait partie.

En 1843, la mère Javouhey fait ses adieux à Mana, accompagnée jusqu’à l’embouchure du fleuve par une foule émue aux larmes. Ensuite l’administration reprend l’expérience mais dans une optique différente. La Guyane n’intéresse plus guère et il est décidé plutôt d’y implanter une colonie pénitentiaire. Elle portera le prénom de l’administrateur qui lui a succédé, Laurent.

A 65 ans, elle revient de Guyane, épuisée par le climat et les épreuves mais reprend sa tâche à Cluny.

Elle est de passage à Paris lors des émeutes de 1848, mais les ouvriers qui tiennent les barricades la laissent passer et lui rendent hommage.

Le décret d’abolition est signé par Lamartine le 27 Avril 1848.

Ce qui est significatif dans cette lutte pour lutter contre l’esclavage, c’est que chacun à sa place a tenu son rôle. Les esclaves dans les colonies, bien sûr , mais aussi les partisans de l’abolition comme La société des amis des noirs qui mène combat au Parlement parvenant à mobiliser beaucoup de grands esprits de l’époque ;  Anne Marie Javouhey a voulu, elle, montrer qu’en pratique il était possible d’éduquer, d’instruire ces personnes de couleur objets de préjugés et de quolibets, de montrer par l’exemple, qu’ils pouvaient vivre dignement et en toute autonomie.

Certains peuvent argumenter que si l’esclavage a été aboli ,c’est que ce système cruel était économiquement dépassé, et que les grands planteurs ou financiers étaient prêts à passer à autre chose.

Mais il est toujours réconfortant de voir quelqu’un se dresser aux côtés des plus démunis, pour s’opposer aux préjugés et montrer par l’exemple qu’une autre voie est possible.

C‘est pourquoi il est important de se souvenir d’ Anne Marie Javouhey.