Quand nous pensons à la Polynésie française, nous voyons des paysages réputés pour leur beauté, des peuples associés à la grâce qui ont séduit Gauguin, Brel et tant d’autres… Mais c’est aussi un ensemble de territoires vaste comme l’Union européenne, où la pauvreté est très présente, une collectivité d’outre-mer dotée d’une large autonomie au titre de l’article 74 de la Constitution, définie par son statut comme « un pays d’outre-mer au sein de la République ».

L’actuel statut de la Polynésie française, qui remonte à 2004, avait été modifié jusqu’à présent à deux reprises : en 2007 et en 2008. Depuis plusieurs années, des ajustements à ce statut sont attendus ; ils ont fait l’objet de négociations approfondies et d’une longue concertation avec le gouvernement précédent, qui ont abouti à la signature des accords de 1’Élysée avec le Président François Hollande le 17 mars 2017, à la grande satisfaction d’ailleurs du Président de la Polynésie française, M. Édouard Fritch. Ces deux textes en sont la traduction législative. Ils marquent une continuité dans les relations entre la Polynésie française et l’État qui me semble de très bon aloi.

Cette traduction législative est déclinée en un projet de loi organique portant sur le statut d’autonomie et un projet de loi ordinaire tendant à modifier diverses dispositions institutionnelles. Le Sénat, saisi le premier en tant que représentant des collectivités territoriales, a adopté en première lecture à l’unanimité lors d’un vote solennel, par 343 voix, le projet de loi organique et, dans la foulée, le second texte à main levée. Il faut saluer son travail pour préciser les deux textes et parfaire leur mise en forme juridique.

La première mesure de cette réforme, inscrite à l’article 1er du projet de loi organique, a une portée symbolique : il s’agit de la reconnaissance de la contribution de la Polynésie française à la construction de la dissuasion nucléaire française. En effet, de 1966 à 1996, les atolls de Mururoa et Fangataufa ont été le théâtre de 193 essais nucléaires, qui ont eu des effets sur la santé et l’environnement des populations. Cet article, sans être purement normatif, me semble extrêmement important car c’est une déclaration de principe attendue depuis longtemps.

En effet, depuis des années, après avoir réclamé la fin des essais nucléaires, les Polynésiens réclamaient l’indemnisation pour les dégâts causés à leur environnement et à la santé des populations. Car si cette période a été source de puissance pour l’État français, elle leur a apporté souffrances et maladies. Il fallait donc que soit reconnu expressément dans un texte le rôle joué par ce territoire dans la construction de la capacité de dissuasion nucléaire française, mais aussi consacré l’engagement à réparer les conséquences des essais nucléaires. Certains peuvent dire que la formulation ici proposée n’est pas aussi satisfaisante qu’il le faudrait, mais si les élus polynésiens ont abouti à celle-ci après de longues négociations avec des représentants de l’État, qui sommes-nous pour décider à leur place en faveur d’une autre formulation ? Cet article dans sa rédaction actuelle me convient tout à fait.

Grâce à cette déclaration de principe, la dotation globale d’autonomie allouée au territoire est confortée : il s’agit d’éviter des discussions, pénibles et récurrentes, avec le ministère de l’économie et des finances qui essaie régulièrement de grignoter les dotations sans prendre en compte leur valeur symbolique au regard des réparations. Grâce à ce projet de loi organique, cette reconnaissance implique que les conséquences des essais doivent être prises en compte dans tous les domaines, bien au-delà de la seule indemnisation des victimes. Je rappelle que ce processus d’indemnisation, engagé à partir de la loi Morin de 2010, est longtemps demeuré sans efficacité suffisante puisque les conditions prévues permettaient alors de rejeter la quasi-totalité des dossiers. Certes, depuis la loi Égalité réelle outre-mer de 2017 et la suppression de la condition tenant au risque négligeable, la situation s’est améliorée significativement, mais c’est encore mieux de l’inscrire expressément dans la loi.

Sur le volet strictement institutionnel, la réforme toilette le statut avec l’ambition de le rendre plus fonctionnel et plus moderne. Elle vise à encourager davantage la coopération entre les communes et la collectivité de Polynésie, qu’il s’agisse, par exemple, de recouvrement des impôts locaux ou encore de la répartition des compétences.

Afin de favoriser le développement de l’intercommunalité, il est prévu de redéfinir les compétences des communautés de communes.

Dans une logique de stabilisation des institutions, le mécanisme de renouvellement de l’assemblée de la Polynésie française évolue. On se souvient de l’époque où le départ de quelques membres suffisait à provoquer un renouvellement intégral, en sorte que certains élus pouvaient en jouer, au prix d’une instabilité préjudiciable à l’institution. Demain, il faudra une vacance d’au moins un tiers des sièges – sur le modèle des conseils municipaux. Une remarque au passage : ces textes sur la Polynésie sont une nouvelle illustration des statuts à la carte qui existent aujourd’hui partout dans les outre-mer puisque chaque territoire peut dorénavant décider précisément de sa manière de fonctionner, ainsi adaptée à son histoire, à sa géographie et à sa culture. Il me semble que c’est une évolution très sensible par rapport à une période où l’État leur disait : « Vous êtes DOM ou vous êtes TOM, et pareil aux autres dans chacune de ces catégories. » Contrairement à cette époque, chaque territoire choisit la manière de fonctionner qui lui semble la mieux adaptée.

Un autre aspect non négligeable du texte concerne la propriété foncière, en l’occurrence la sortie de l’indivision et la transposition à la Polynésie française de la loi Letchimy. En effet, dans tous les outre-mer, les problèmes d’indivision sont insolubles et détestables ; mais ici, la question foncière était particulièrement complexe puisque l’État colonisateur avait posé le principe qu’il était propriétaire de toutes les terres sauf si les personnes privées pouvaient prouver leur droit de propriété. Je rappelle qu’en 2015, sur l’insistance notamment de Maina Sage, nous avions voté l’institution d’un tribunal foncier. Mais nous sommes malheureusement encore loin du compte. Il est donc important que des dispositions soient prises concernant la manière de régler le fond des litiges. Par ailleurs, la prise en charge des frais d’avocat par la collectivité à travers le recours à des professionnels salariés me semble une innovation tout à fait appréciable au vu des ressources modestes des justiciables.

Cette discussion générale est aussi l’occasion de rappeler que grâce aux outre-mer, la France peut se prévaloir d’une zone économique exclusive extrêmement étendue – la deuxième ou la troisième du monde, notre place prête à discussion avec les Américains –, et que la Polynésie française représente 44 % du total, soit un apport tout à fait important pour notre pays.

Par ailleurs, je tiens à souligner une innovation intéressante dans la manière de régler les relations entre les collectivités et l’État par rapport au reste du monde – les DOM étant jusqu’ici plus en avance – : dorénavant, la Polynésie française, comme les départements d’outre-mer, pourra jouer son rôle propre en matière de relations internationales. Il est vrai que la diplomatie française avait diversement apprécié cette possibilité donnée aux outre-mer d’intervenir dans ce domaine régalien, mais c’est important parce que la Polynésie française pourra ainsi discuter d’égal à égal avec ses voisins et que la France sera vraiment considérée comme un État de la zone Pacifique alors que son territoire hexagonal est très éloigné de cette région du monde.

Enfin, notons que le projet de loi organique traite de sujets d’avenir comme la valorisation des terres rares ; il faut saluer la solution trouvée pour régler ce problème en prévoyant que leur exploitation relève bien de la compétence de la Polynésie française.

Ces textes contiennent beaucoup de dispositions originales permettant de redynamiser le tissu économique local et résultent d’un dialogue approfondi et confiant entre l’État et les élus polynésiens. Par conséquent, le groupe Socialistes et apparentés votera favorablement sans chercher à les amender car, selon nous, des amendements qui ne résulteraient pas des échanges entre les principaux intéressés n’auraient pas de légitimité.