Monsieur le Premier ministre, ce jour est un jour d’émotion et de recueillement.
Ce matin, une nouvelle fois, nous avons assisté dans la cour d’honneur des Invalides à une cérémonie en hommage aux victimes d’attentats. Malgré la tristesse, nous avons surtout été pétris d’admiration devant le courage du colonel Arnaud Beltrame, ce héros de notre temps, qui a donné sa vie pour sauver celle d’une jeune femme.
Cet après-midi, nous serons à la marche blanche organisée en mémoire de Mireille Knoll, une dame de 85 ans, se déplaçant en fauteuil roulant, qui a été assassinée chez elle, avec une barbarie sans nom, en plein Paris.
Nous ne pouvons accepter que de plus en plus d’habitants de ce pays se sentent menacés dans des actes de leur vie quotidienne, en faisant leurs courses, en prenant un verre à la terrasse d’un café. Et nous pouvons encore moins accepter que nos compatriotes de religion ou de culture juive ne puissent plus vivre en sécurité simplement pour ce qu’ils sont. Mireille Knoll avait survécu à la rafle du Vel d’Hiv. Elle aura été assassinée soixante-quinze ans plus tard, sous la haine d’un nouvel antisémitisme aussi barbare que celui d’autrefois.
En réponse, nous avons évoqué hier la lutte sans répit à mener contre le terrorisme, et salué l’action des forces de police et de gendarmerie. Je crois que nous devons aussi exprimer aux enseignants qui, quotidiennement dans tous nos quartiers, transmettent aux enfants les principes de la République et du vivre ensemble, notre confiance et notre estime.
Mais nous devons surtout veiller à ce que les propos racistes et haineux ne continuent pas à se propager sans relâche sur internet et les réseaux sociaux. Il faut obliger toutes les plates-formes qui hébergent ces sites à coopérer et à nommer un directeur de publication, à qui nous adresser et contre qui agir efficacement. Il faut pouvoir agir en référé pour bloquer les faux contenus et mettre fin aux rumeurs.
Monsieur le Premier ministre, quand nous proposerez-vous un arsenal législatif à la hauteur de la situation, comme cela a été fait en Allemagne ?
M. Edouard Philippe, Premier ministre.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, madame la députée George Pau-Langevin, une vieille dame de 85 ans, une belle dame d’après ce que j’ai pu lire à son sujet, une dame qui débordait de générosité, a été tuée à Paris, en 2018, sous des coups d’une infâme brutalité, dans le cadre d’un acte dont tout indique qu’il a été à la fois motivé par des considérations crapuleuses et des relents antisémites. Il appartiendra à la justice de faire toute la lumière sur cet acte et de punir ceux qui seront déclarés coupables.
Deux personnes ont été mises en examen et sont désormais écrouées. Je me réjouis que l’enquête ait pu aboutir rapidement et permis d’identifier les personnes aujourd’hui mises en examen.
Mais au-delà de ce crime se révèle une signification au moins aussi profonde, celle d’un antisémitisme qui ne passe pas, qui demeure, qui se transforme, reparaît, mute, celle d’un antisémitisme qui, constamment, et peut-être à certains égards de plus en plus, met en cause ce que nous sommes, la façon dont nous voulons vivre dans notre pays, l’ensemble de la communauté nationale.
Vous m’interrogez, madame la députée, sur les mesures que le Gouvernement entend prendre, notamment pour lutter contre les discours antisémites qui se propagent sur les réseaux sociaux. C’est une excellente question, qui a déjà été traitée dans cet hémicycle. J’ai eu l’occasion de l’évoquer à Paris, lors de la présentation du plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, le 19 mars dernier, en indiquant justement qu’il devenait urgent de promouvoir une nouvelle forme de responsabilité des réseaux sociaux quant aux propos qu’ils permettent de diffuser.
Il existe aujourd’hui un statut des éditeurs et un statut des hébergeurs. Nous devons faire en sorte d’accroître la responsabilité des hébergeurs. L’idéal serait que nous y parvenions dans le cadre européen. Nous y sommes déterminés. Mais si nous n’y parvenons pas, nous devrons alors trouver l’ensemble des dispositions permettant d’avancer dans le cadre national, en créant le cas échéant un statut intermédiaire entre celui d’éditeur et celui d’hébergeur, afin de renforcer la responsabilité pénale de sociétés qui ne peuvent pas prétendre que ce qui est publié et diffusé sur le territoire national pourrait de quelque façon que ce soit échapper au droit de la République.
Je le dis clairement, madame la députée, car je sais qu’en la matière, nous sommes d’accord.
Après le président de l’Assemblée nationale dans son propos liminaire, vous avez vous aussi évoqué la marche blanche qui aura lieu ce soir. Je recevrai après la séance des questions au Gouvernement, la famille de Mme Knoll, afin de lui témoigner ma sympathie, mais aussi d’indiquer clairement la détermination du Gouvernement. Je veux ici simplement vous redire ma conviction profonde : lorsqu’il s’agit de lutter contre l’obscurantisme, ou contre l’antisémitisme, ou contre le fanatisme, tout ce qui rassemble grandit.