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Le jeudi 21 février 2019 j’étais à l’Assemblée nationale pour la discussion d’une proposition de loi constitutionnelle sur les « Référendums d’initiative citoyenne ».

J’étais responsable de ce texte au nom du groupe Socialistes et apparentés, ce texte constitutionnel porté par LFI a fait l’objet d’une motion de renvoi à l’initiative de LaREM, votée par 91 voix contre 50, il est évident que ce texte mérite d’être retravaillé sur le fond. Toutefois, nous savons quel est le sort réservé aux textes faisant l’objet d’une motion de renvoi en commission. Ce texte ne reviendra jamais en discussion. Cette motion de renvoi en commission fut une motion de rejet préalable déguisée. Nous avons manqué hier une occasion d’organiser un débat sur un sujet majeur, alors même que nous devons nous inscrire au cœur de cette réflexion. C’est pourquoi le groupe socialiste et apparentés a voté contre la motion de renvoi en commission.

Je vous invite à découvrir ci-dessous mon discours à l’occasion de la discussion de la proposition de loi constitutionnelle de M. Jean-Luc Mélenchon et plusieurs de ses collègues visant à instaurer la possibilité de référendums d’initiative citoyenne.

« Nous abordons ce matin la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer la possibilité de référendum d’initiative citoyenne, et portant l’ambition d’introduire dans la Constitution des mécanismes d’initiative citoyenne. Nos collègues du groupe La France insoumise estiment que la démocratie représentative ne respecte pas suffisamment la souveraineté du peuple. Ce dernier est cantonné dans un rôle passif, se contentant de voter pour élire des représentants et se retrouvant dessaisi, entre deux consultations, de son pouvoir de définir ce qui lui semble convenir pour l’intérêt général. Le peuple ne dispose pas davantage des moyens de sanctionner des élus qui ne respecteraient pas leur programme ou leurs engagements.

Nos collègues souhaitent que puisse être présentée, par une fraction significative du peuple, une proposition de loi qui serait soumise directement au référendum. Serait concerné l’ensemble des questions relevant du domaine de la loi, les propositions de loi pouvant être de nature ordinaire, organique ou constitutionnelle.

Nos collègues insoumis nous proposent également d’instaurer un référendum abrogatoire qui permettrait d’abroger une loi votée par le Parlement, ainsi qu’un référendum révocatoire qui permettrait de placer les élus, à tous les échelons, sous une forme de « contrôle populaire ». À mi-mandat, 5 % du corps électoral pourrait demander l’engagement de cette dernière procédure afin de vérifier que l’élu respecte son programme et qu’il fait ce qu’il a promis, à défaut de quoi il pourrait être renvoyé.

Toujours à l’initiative de 5 % des électeurs, un référendum pourrait être organisé proposant l’installation d’une assemblée constituante en vue de changer la Constitution.

Nous comprenons cette revendication d’exercice en direct de la souveraineté par le peuple, aujourd’hui popularisée par les gilets jaunes. Leur colère est dirigée contre les institutions et contre la démocratie participative telle que nous la connaissons. Nous partageons l’idée que la souveraineté par le peuple doit mieux s’exercer. Nous croyons aussi qu’il faut réduire la fracture actuelle entre la puissance publique, les institutions et nos concitoyens.

Indiscutablement, les citoyens aspirent à la démocratie participative. Dans plusieurs villes, dont Paris, des initiatives ont vu le jour pour mieux associer le peuple à l’exercice du pouvoir. Des formules telles que les budgets participatifs ou les conseils de quartier ont ainsi rencontré un véritable succès. Ce sujet suscite aussi beaucoup de passion, nous venons de le constater au début de notre discussion.

Certes, notre démocratie va mal, et les taux d’abstention dans nos quartiers populaires en sont un signe inquiétant. Nous devons faire en sorte que notre démocratie aille mieux.

Reste à déterminer si les solutions avancées ce matin sont de nature à répondre au problème posé et à corriger les lacunes de notre système démocratique tout en protégeant nos libertés fondamentales.

Or l’idée du référendum révocatoire nous paraît contre-productive, car elle revient à considérer que, par définition, tout élu est, en quelque sorte, un suspect que l’on pourrait traîner devant un tribunal pour se justifier à mi-mandat. La méfiance permanente du peuple à l’égard de ses représentants ne saurait devenir une caractéristique de notre vie politique.

Par ailleurs, le temps est utile. Une opposition nette de la population à un projet peut évoluer vers l’acceptation au cours d’un mandat. On l’a vu pour le tramway à Paris : au début, il y avait des oppositions virulentes, et si Bertrand Delanoë n’avait pas eu le temps d’y répondre puis de mettre en œuvre le projet, cela aurait été au détriment de Paris puisque tout le monde en est aujourd’hui très content.

En fait, la revendication d’initiative citoyenne montre qu’il y a aujourd’hui une aspiration forte à remettre en question les pouvoirs existants et à faire mieux entendre la voix des Français. Mais on pourrait procéder d’une autre manière.

J’en reviens au débat qui avait eu lieu au moment de la révision de la Constitution. On peut tout à fait trouver des solutions pour rendre opérationnel le dispositif d’initiative partagée qui avait été instauré et dont l’inutilisation montre manifestement qu’il ne peut aujourd’hui être mis en œuvre. Il faudrait sans doute en abaisser le seuil de déclenchement. C’est pourquoi nous reprenons dans nos amendements ce que notre groupe avait proposé à l’époque, pour que soit mieux prises en compte la représentativité de l’Assemblée nationale et l’expression des citoyens. Il s’agit de renforcer le principe de la démocratie participative en en faisant une nouvelle ambition pour la République. Nous prévoyons notamment de consacrer le droit des citoyens à proposer des lois.

Mais pour maintenir le lien entre les citoyens et leurs représentants, plutôt que de les opposer, nous proposons d’instaurer un dialogue par lequel les citoyens pourraient interpeller les élus au sujet de propositions citoyennes sans pour autant remettre en cause le principe du mandat représentatif. La seule contrainte pour les élus serait de devoir répondre à cette interpellation et de justifier leur point de vue. Le seuil de 1 % du corps électoral, soit 450 000 signataires, permettrait d’assurer l’effectivité de cette procédure d’interpellation. Elle ne serait ainsi pas trop rigide et les citoyens ne seraient pas frustrés.

De même, dès ce seuil atteint, un débat serait organisé à l’Assemblée nationale afin de permettre aux représentants de la nation de se prononcer sur les éventuelles suites à donner à une telle initiative. Ce serait ainsi créer une voie de communication entre les élus et les citoyens. On a bien vu que, par rapport à nos propositions antérieures, il fallait abaisser le seuil.

Nous souhaitons également consacrer le droit d’amendement citoyen destiné à établir un dialogue permanent entre les représentés et leurs représentants. Par la possibilité donnée aux citoyens de soutenir des amendements dans le cadre des discussions parlementaires, le lien serait maintenu. À la différence d’une procédure de révocation, il s’agit d’une démarche de participation constructive des citoyens au débat parlementaire. Le but est de fonder une démocratie plus collaborative. Le seuil de 0,1 % du corps électoral que nous proposons, soit 45 000 soutiens, est relativement accessible. Les amendements citoyens ne seraient pas anecdotiques ; ils pourraient devenir habituels.

Je tiens aussi à attirer votre attention sur l’amendement déposé par notre collègue Luc Carvounas : il propose une expérimentation du droit de vote à 16 ans lors des élections municipales et intercommunales, pour sensibiliser davantage les jeunes à l’éveil de leur citoyenneté et endiguer ainsi l’abstention massive que connaît notre société.

Un des gros problèmes de notre société, c’est en effet que les jeunes, qui ont aujourd’hui le droit de vote à partir de 18 ans, sont relativement absents lors des scrutins.

Enfin, pour rétablir l’équilibre de nos institutions, nous devons rétablir l’Assemblée nationale dans sa véritable dimension de manière qu’elle redevienne le réceptacle légitime des revendications citoyennes et qu’il y ait un dialogue constant entre le peuple et ses représentants. Nous nous opposons à ce que ce réceptacle soit une autre chambre, en l’espèce le Conseil économique, social et environnemental, comme le prévoit cette proposition de révision constitutionnelle.

Dans Le contrat social – un texte que nous consultons les uns et les autres avec beaucoup d’attention –, Rousseau écrit que « celui qui fait la loi sait mieux que personne comment elle doit être exécutée et interprétée », ajoutant qu’« il n’est pas bon que le corps du peuple détourne son attention des vues générales pour la donner aux objets particuliers ». Il nous semble effectivement que le peuple n’a pas à s’investir de la sorte, n’a pas à intervenir à travers des référendums de circonstance. Il doit se consacrer à la désignation des contre-pouvoirs et aux grands débats de notre société. Son intervention ne doit pas être diluée.

C’est la raison pour laquelle, malgré l’intérêt de ce débat ouvert par nos collègues du groupe La France insoumise, nous pensons qu’il vaut mieux avancer sur la voie de la démocratie participative pour donner un élan populaire à nos institutions. »