Jeudi 30 novembre.
George PAU-LANGEVIN, députée de Paris.

Monsieur le Président, Madame la Garde des Sceaux, Monsieur le Rapporteur, mes chers collègues.

Le sujet que nous abordons aujourd’hui engage des ressorts très profonds et très intimes de chacun, qui y est confronté à la suite d’un échec de sa vie amoureuse. Nous avons donc conscience de traiter un enjeu particulier, aux dimensions complexes, passionnées et parfois confuses, ce qui nous impose de nous départir des postures simplistes.

Ce sujet présente un double aspect. D’une part, de petits êtres en construction, donc fragiles, ont besoin de s’attacher à leurs deux parents et doivent bénéficier du meilleur respect possible de leurs exigences ; d’autre part, la société doit assurer la protection des plus faibles.

Il existe dans notre pays une réelle distorsion entre les textes, les affirmations de principe et la réalité de l’ampleur des situations concrètes. Les textes, tant législatifs que réglementaires, ont permis des avancées indiscutables au fil des années. Depuis la promulgation de la loi du 4 mars 2002, l’exercice en commun par les parents de l’autorité parentale est la règle.

Le maintien de relations personnelles entre l’enfant et ses deux parents n’est pas une faculté mais une obligation. Les parents doivent donc s’informer mutuellement sur l’organisation de la vie de l’enfant et prendre ensemble les décisions importantes à son sujet.

Par ailleurs, la proportion de divorces par consentement mutuel a considérablement augmenté. Depuis la promulgation de la loi du 18 novembre 2016, il n’est même plus nécessaire de se présenter devant un juge pour divorcer : en cas d’accord entre les parties, une convention signée par leurs avocats et déposée au rang des minutes des notaires devrait suffire. Les administrations – l’école au premier chef – ont intégré cette autorité parentale partagée dans leurs méthodes de travail en informant systématiquement les deux parents au sujet de la vie scolaire de leur enfant et en les consultant tous les deux avant toute décision importante.

Ces principes et précautions sont sans doute insuffisants aux yeux de nombreux parents, en particulier les pères qui continuent à considérer qu’ils font l’objet d’un traitement inégalitaire par les tribunaux et que la séparation du couple les prive trop souvent de leur enfant. Ils estiment que la domiciliation de l’enfant chez les deux parents est une condition de l’exercice de leur fonction parentale, voire une compensation à la faillite du couple et une reconnaissance officielle de leur qualité de parent, à égalité avec leur ex-conjointe.

Hommes et femmes font bruyamment valoir leurs droits en matière de garde et d’accès à la double domiciliation. Les voix qui se font entendre actuellement sont plutôt discordantes. Ainsi, certains groupes de revendication féministes soutiennent que les droits des pères l’emportent systématiquement en cas de litige financier. Les porte-parole des mouvements de défense des droits des femmes protestent principalement contre le retard ou l’absence de versement de la pension alimentaire due par les pères.

En effet, certains pères estiment que les décisions rendues par le juge favorisent injustement les femmes et les privent d’un accès suffisant à leurs enfants, même s’ils respectent leurs obligations parentales et financières. Il y a du vrai dans les arguments de chaque camp, mais le droit de la famille ne saurait servir de champ de bataille à la guerre des sexes. Les adultes des deux sexes font des choix et sont maîtres d’eux-mêmes, pas les enfants.

Il faudrait donc fixer a priori quelques principes valables dans tous les cas : les enfants ont le droit de jouir d’un accès sans contrainte à leurs deux parents ; la garde des enfants et le droit de visite devraient être considérés comme distincts de l’obligation de subvenir à leurs besoins, qui doit être absolument respectée ; le sexe des parents ne devrait pas influer sur la décision en matière de garde et de droit de visite ; surtout, les enfants ont le droit d’aimer leurs deux parents et les deux parents ont le droit d’aimer leurs enfants, et il nous incombe de respecter les trois acteurs de la séparation que sont l’enfant, la mère et le père.

Il faut accompagner l’amélioration de l’entente entre ex-conjoints, voire l’inscrire dans le cadre de la famille élargie. Le refus arbitraire ou déraisonnable d’un parent d’accorder l’accès aux enfants à l’autre parent devrait immédiatement entraîner une sanction juridique sévère, sauf bien entendu en cas de protection contre un parent violent.

Or la proposition de loi soumise à notre examen ne traite pas toutes les questions soulevées. Elle se contente de traiter de la résidence de l’enfant, qui est un problème parmi d’autres. La garde alternée, modalité d’exercice conjoint de l’autorité parentale, jadis considérée avec méfiance, a significativement progressé depuis plusieurs années. Toutes procédures confondues – divorces et séparations de parents non mariés –, 17 % des enfants de parents divorcés vivaient en résidence alternée en 2012, selon les derniers chiffres disponibles du ministère de la justice. 73 % des enfants résidaient chez leur mère et 7 % chez leur père. Dans 80 % des cas, les parents étaient d’accord sur le lieu de résidence des enfants. La proportion d’enfants vivant sous le régime de la garde alternée augmente encore si l’on s’en tient aux seules procédures de divorce et plus encore si l’on s’en tient aux procédures de divorce par consentement mutuel, pour lesquelles elle avoisine 30 %.

Ainsi, les droits des pères ne sont pas systématiquement bafoués par les juges, ce qui est normal : depuis plusieurs années, chacun peut constater que les pères s’engagent bien plus auprès de leurs enfants qu’auparavant. Par conséquent, la société doit entériner ce nouvel état d’esprit en cas de séparation. Pour autant, légiférer sur la résidence de l’enfant ne réglera pas tous les problèmes posés.

En effet, la garde alternée peut s’avérer délicate à mettre en œuvre si les résidences des deux parents sont éloignées l’une de l’autre. Elle suppose en outre une bonne coopération entre les parents. De surcroît, les enfants de moins de 3 ans ont besoin d’une figure privilégiée susceptible de leur assurer une sécurité. Les juges sont donc souvent assez réticents à accorder ce mode de garde car la vie de l’enfant, qui a besoin de repères, peut en être déstabilisée.

Nous avons donc accueilli cette proposition de loi avec une certaine réserve. De prime abord, elle semblait obliger le parent réticent à accepter la résidence alternée, voire le sanctionner s’il la refusait, ce qui est contraire à la démarche adoptée depuis plusieurs années visant à aplanir les inévitables conflits qui surviennent en cas de séparation.

Je me permets de rappeler à nos nouveaux collègues que notre assemblée a abordé ce sujet de façon très approfondie il y a quelques années. En effet, nous avons adopté le 27 juin 2014 une proposition de loi déposée par plusieurs membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, relative aux problèmes qui se posent lors de la séparation d’un couple : définition de l’autorité parentale, possession du livret de famille, non-représentation d’enfant…

Ce texte assez complet n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour du Sénat. Il est curieux que le MODEM ait préféré le laisser en souffrance pour se concentrer sur un seul de ses aspects du texte et en présenter un modèle réduit, si je puis dire. La proposition de loi précédente était bien plus travaillée que celle dont nous débattons aujourd’hui. Si certaines de ses dispositions sont reprises, je ne comprends pas très bien l’intérêt de repartir à zéro en négligeant le travail considérable mené précédemment.

De surcroît, la version initiale de cette proposition de loi n’était pas très satisfaisante. Le travail mené en commission des lois a permis de l’améliorer. Bien entendu, je salue le travail des élus comme des administrateurs, qui a permis d’améliorer la rédaction du texte. Mais cela ne nous dit pas pourquoi il fallait relancer le débat toutes affaires cessantes sans disposer de davantage d’informations qu’en 2014.

En l’absence d’étude d’impact, on ne sait pas si des difficultés particulières sont survenues depuis. On ne connaît pas non plus l’incidence du texte sur les allocations familiales ni si ses dispositions ne risquent pas d’appauvrir encore davantage les familles monoparentales. On ignore tout de ses incidences fiscales et on ne sait pas comment on protégera les femmes, qui sont souvent victimes de violences.

En d’autres termes, à défaut de disposer de ces informations, il aurait fallu renvoyer ce texte en commission. Sur ce sujet, il importe de rappeler qu’il ne nous incombe pas de statuer sur un éventuel droit du père ou de la mère d’obtenir que l’enfant soit domicilié chez lui. Nous devons légiférer en fonction de l’intérêt de l’enfant. C’est pourquoi le rôle du juge est essentiel.

Selon Montesquieu, il ne faut toucher aux lois « que d’une main tremblante ». C’est encore plus vrai au sujet des enfants et des problèmes complexes que soulèvent les situations dont il est question. C’est la raison pour laquelle, à défaut de l’inscription du texte existant à l’ordre du jour du Sénat ou du renvoi de celui-ci en commission, les membres du groupe Nouvelle Gauche s’abstiendront sur cette proposition de loi, dont l’enjeu est limité.