Le mardi 24 septembre 2019, nous avons commencé à débattre du projet de loi relatif à la bioéthique.

Veuillez trouver ici la vidéo et le texte de mon intervention lors de la discussion générale.

Ce projet de loi, le quatrième depuis 1994 à concerner le domaine de la bioéthique, nous interpelle tous, au-delà de nos opinions politiques, car il touche à l’intime et à nos convictions profondes, dans des domaines aussi essentiels que l’accès à la vie, la filiation ou l’identité de genre.

Depuis 1994, la France a choisi de confier à la représentation nationale la définition des règles en matière de bioéthique. Comme l’ont souligné les intervenants précédents, comme on peut le voir aussi, ce débat est délicat, car le parlementaire doit concilier des impératifs souvent contradictoires et trancher. Il nous faut faire fi de nos certitudes et nous abstraire des conditionnements que, souvent, notre vie, notre éducation, nos convictions religieuses ou nos origines nous imposent souvent, pour appréhender l’intérêt général, prendre en considération les extraordinaires avancées réalisées depuis des années par les chercheurs et les médecins et tenter de les encadrer, au regard des principes fondamentaux qui régissent notre société.

Je peux tout à fait comprendre que, sur ces sujets, nos collègues expriment – parfois, avec beaucoup de passion – des opinions contradictoires. En effet, c’est un domaine dans lequel on réfléchit en conscience. Toutefois, nous avons à constater aujourd’hui les progrès accomplis en matière juridique, ainsi qu’en matière démocratique, puisque ont été menés une concertation et un débat public très larges, avec une consultation de tous les organismes importants, qu’il s’agisse du Conseil d’État ou de ceux de la société civile.

Aujourd’hui, après un large débat sociétal, il nous appartient de trancher, loin des pressions et des conceptions personnelles des uns et des autres. En tant que législateurs, nous avons pour mission de rechercher l’intérêt général. Cela est particulièrement important lorsque l’on est face à des progrès scientifiques qui peuvent, parfois, permettre des avancées et des innovations effrayantes : la fabrication de chimères et autres monstres est à notre portée. Il nous faut donc répondre à la fois au développement exponentiel de la science et aux demandes nouvelles et aux débats inédits qui, liés aux progrès de la science, surgissent dans nos sociétés.

De nombreuses personnes souhaitent aujourd’hui procréer, alors que la nature, autrefois, ne le leur aurait pas permis. Ce désir est-il pour autant illégitime ? Non. Je pense que, si nous avons le moyen d’y répondre, il faut le faire, tout en encadrant ces attentes légitimes et ces possibilités nouvelles, pour tenir compte des valeurs fondamentales de notre société, et, surtout, de l’intérêt des enfants.

Ce texte sur la PMA est une suite logique des discussions sur le mariage pour tous, dont nous avons débattu sous le quinquennat précédent, et qui avait été une manière d’ouvrir la porte à ces possibilités nouvelles. Comme l’a souligné Valérie Rabault, nous sommes bien entendu, par principe, favorables à ce que de nouveaux droits soient ainsi reconnus aux couples de femmes et aux femmes seules – c’est d’ailleurs une idée que nous défendons depuis longtemps. Certains disent qu’il s’agit d’une manière de faire naître des enfants qui, sans référence paternelle, n’iront pas bien. Pourtant, rappelons que, par le passé, beaucoup de femmes ont dû accepter d’élever seules leurs enfants, parce que le père s’était esquivé ; heureusement, lorsque ces enfants ont été élevés avec amour, ils se portent aujourd’hui très bien. Ce qui changera aujourd’hui avec le projet de loi, et qui peut expliquer certaines réticences, c’est que la situation était auparavant subie ; désormais, elle sera organisée par les femmes elles-mêmes, loin des malédictions qui les ont frappées durant des siècles. C’est une situation nouvelle, mais après tout, pourquoi pas ? C’est une manière d’achever la maîtrise de la femme sur son corps, qui me semble positive.

Nous devons à présent avancer, en gommant du texte les dernières discriminations subsistantes, liées à l’orientation sexuelle. Il est bien que nous ayons renoncé à l’évaluation psychologique complémentaire, initialement prévue pour les femmes seules, et que, s’agissant du mode d’établissement de la filiation, nous nous rapprochions le plus possible du droit commun existant pour les autres couples.

D’autres sujets nous posent des questions redoutables, comme l’assistance médicale à la procréation post mortem. Le législateur a toujours refusé de l’autoriser ; il est vrai que, pour l’enfant ainsi conçu, le contexte psychologique peut être lourd. Toutefois, dans la mesure où nous étendons le bénéfice de la PMA aux femmes seules, la logique du texte fait tomber cet argument. Comment, en effet, ne pas autoriser la suite du projet parental formé par un couple, une fois que la femme se retrouve seule ?

S’agissant de la levée de l’anonymat dans le cadre de la relation entre donneur et receveur, on peut s’interroger sur la réaction des donneurs lorsque leur identité aura été révélée à l’enfant. Toutefois, les textes internationaux que nous avons ratifiés, en particulier la Convention européenne des droits de l’homme, reconnaissent à l’enfant le droit de connaître son origine. C’est un droit fondamental, nécessaire à son équilibre et à la préservation de sa future personnalité. Nous ne pouvons pas continuer, dans notre pays, à priver des personnes de leur origine, de leur identité et, surtout, d’antécédents médicaux qui peuvent avoir des conséquences dramatiques sur leur santé et leur vie. Le texte va donc dans la bonne direction.

Sur la question du don croisé, il arrive aujourd’hui que des receveurs trouvent un donneur dans leur famille, quelque part en France, avec lequel ils ne sont pas compatibles. Autoriser, sous le contrôle et après avis de 1’Agence de la biomédecine, davantage de dons croisés entre plusieurs paires de donneurs, me semblerait une avancée positive.

Nous ne pouvons pas non plus esquiver ce débat, très tendu au sein de la commission, sur le diagnostic préimplantatoire. Peut-on réaliser un DPI pour éviter d’implanter à une femme des embryons porteurs d’anomalies susceptibles de favoriser les fausses couches ? Les lois de bioéthique de juillet 1994 autorisent cette pratique uniquement dans le but d’éviter la transmission d’une maladie génétique ou chromosomique reconnue. Actuellement bien encadrée, cette pratique n’a pas entraîné de dérives. Il nous semble donc possible d’autoriser le DPI sur des cellules qui ne possèdent pas le nombre normal de chromosomes, en faisant bien attention d’en encadrer les conditions. Je sais que certains pensent qu’une telle pratique ouvre la voie à une forme d’eugénisme ; toutefois, je ne trouve pas raisonnable de pratiquer une implantation – intervention délicate pour une femme – pour autoriser, quelques semaines plus tard, une interruption médicale de grossesse au prétexte que l’embryon se sera révélé porteur d’anomalies. Il faut franchir le pas et donner la possibilité de ne pas implanter des embryons dont on sait qu’ils ne sont pas viables et qu’ils déboucheront sur une fausse couche.

S’agissant de la distinction entre la recherche sur l’embryon et celle sur les cellules souches embryonnaires, la possibilité offerte aux chercheurs de simplement déclarer leurs protocoles, et non plus de demander des autorisations délivrées par l’Agence de la biomédecine après un processus lourd, permettra de faciliter les recherches porteuses d’un véritable enjeu scientifique et médical pour les années à venir. Là encore, il faudra encadrer très précisément de telles recherches, si on ne veut pas que des savants fous nous recréent des golems.

Enfin, le débat en commission sur la question de la fertilité a démontré la nécessité d’informer les jeunes gens sur le sujet. En effet, des femmes toujours plus nombreuses sont engagées dans la vie professionnelle, ce qui retarde l’âge de la procréation et peut créer des problèmes de fertilité. Il faut donc que l’éducation nationale prenne sa part de responsabilité en la matière.

Ces débats sont essentiels et passionnants, mais difficiles. Notre société a besoin d’une déontologie adaptée à son temps et au mouvement continu de la recherche et de la science. Il nous faut accompagner socialement et politiquement des droits nouveaux permettant d’utiliser au mieux les avancées thérapeutiques et médicales actuelles, dans l’intérêt de tous.

Cependant, il nous faut également faire attention à ne pas laisser la porte ouverte à des innovations débridées qui pourraient attenter à la dignité des êtres humains, voire à leur qualité même d’être humain. Le texte parvient, pour l’essentiel, à respecter cette indispensable ligne de crête. Nos débats nous permettront sans doute d’avancer et d’améliorer ce texte déjà intéressant, que nous abordons positivement.